vendredi 6 juin 2014

Pourquoi et comment une entreprise peut-elle réagir dans le cadre de l’introduction d’un produit nouveau concurrent sur le marche ? (première partie)

Nous considérons une stratégie comme une combinaison de moyens d’actions adaptés, mis en œuvre pour atteindre un objectif donné. Compte tenu de ses forces et des opportunités du marché, une firme peut opter pour différentes stratégies de développement.

Avant toute prise de décision concernant une action défensive, la firme va réagir en fonction de signaux perçus sur le marché qui vont l’informer de l’entrée d’un produit nouveau, et de la firme qui en est à l’origine. Ces informations vont lui permettre de réagir ou d’ignorer l’entrée, selon qu’elle considèrera cette action comme menaçante ou non.

Des auteurs se sont intéressés à la réaction de la firme destinataire d’un signal d’annonce de produit nouveau. Ils  considèrent que quatre types de réaction sont possibles : 
- décider de ne pas réagir
- décider d’attendre et de voir ce qui se passe avant de réagir
- envoyer un contre - signal
- agir

Si la firme décide d’envoyer un contre- signal, elle peut émettre en attendant un signal concernant l’introduction de son propre produit nouveau, ou signaler une autre action potentielle. Si la firme décide d’agir, elle peut introduire son propre produit nouveau, ou mettre en œuvre d’autres actions marketing. Prendre d’autres mesures s ou signaler d’autres actions peuvent impliquer des actions en termes de publicité, de canaux de distribution, de force de vente, d’entrée sur un nouveau marché, de modification du produit existant, et/ou de prix. Les réactions peuvent également être caractérisées en termes d’agressivité et de rapidité.

Face à cette situation quelles stratégies de défense mettre en place face à l’introduction d’un produit nouveau ?

I- COMMENT RÉAGIR EN CAS D'ATTAQUE SUR SON MARCHE ?
La concurrence est un fait du libéralisme économique et aucune entreprise n’est à l’abri d’une attaque sur ses positions dominantes. On peut même affirmer que toute entreprise redoute l’arrivée de concurrents sur son marché. Mais que ce soit par le fait d’un fabricant local ou mondialisation aidant par le fait d’un importateur de produits étrangers, cette menace est une réalité permanente que doivent affronter les entreprises, des plus petites aux plus grandes.
Il faut pouvoir riposter efficacement si vous êtes attaqués sur vos positions dominantes. Comment ?

2003 : OMO subit une violente attaque de NIL
Mercredi 30 Juin 2004, salle des fêtes de l’Hôtel Ivoire. Les actionnaires d’UNILEVER CÔTE D’ IVOIRE, filiale de l’un des plus grands savonniers de la planète, sont réunis en Assemblée Générale Ordinaire à l’effet de délibérer sur les comptes de l’exercice écoulé. L’atmosphère est assez lourde pour cause de non distribution de dividendes. Que s’est-il passé ?
Le nouveau Directeur Général, arrivé de Hong Kong en septembre 2003 raconte : « … on m’avait dit avant mon départ qu’Abidjan est une ville acquise à OMO. Je n’aurais qu’à consolider les positions déjà acquises. J’ai dû faire le constat de moi-même dès mon arrivée. De l’aéroport jusqu’à chez moi, je constatais la réalité, disons les dégâts ? C’était plutôt une ville acquise à NIL, notre concurrent local. Il n’y avait qu’à regarder les murs, les panneaux, les enseignes, etc.… ».

On peut lire à la page 11 du rapport d’activités 2003 présenté par UNILEVER CI à cette assemblée Générale.
« … dans le secteur des poudres à laver où nous sommes présents avec la marque OMO, notre position dominante a été sérieusement attaquée par une marque concurrente. Nous avons donc dû réagir vigoureusement par d’importantes actions publicitaires et promotionnelles, ainsi que par le lancement d’un sachet de 15g, plus accessible en termes de prix unitaire. Toutes ses actions ont fini par être payantes et nous observons depuis quelques mois une remontée de nos ventes que nous n’avons eu d’ailleurs de cesse de soutenir, afin de consolider rapidement la reconquête de nos parts de marché ».
Faut-il le rappeler, UNILEVER  est la nouvelle dénomination du groupe BLOHORN, racheté par le gérant mondial il y a quelques années. Comme vous le voyez, personne n’est à l’abri, car UNILEVER c’est plus de 295 000 personnes et une présence dans plus de 150 pays à travers le monde.

Que s’est-il passé ?
Courant 2003, la multinationale avait essuyé un assaut de grande ampleur de son concurrent local, sur un marché où elle bénéficiait d’une position fortement dominante pour cause de monopole de fait depuis de longues années.

Un cas isolé ? Pas du tout !
De nombreuses entreprises Ivoiriennes vivent chaque année cette même réalité. On peut citer AFRICA On Line attaquée par AVISO il y a quelques années sur son marché principal. Dans le milieu de la presse écrite, des précurseurs de nouveaux marchés comme TOP Visages pour le showbiz ou GBICH pour la presse humoristique ont vu leur position attaquée par une flopée de concurrents pour le premier (DECLIC, ABIDJAN MAGAZINE, PLANETE BIZ, etc. …) et par YA FOHI par le second. Certaines entreprises réagissent avec efficacité et réussissent à récupérer les positions momentanément perdues au profit de la concurrence. Toutes n’ont pas cette chance et d’autres se font rafler leurs positions dominantes sinon une bonne part de marché. Le résultat est fortement dépendant de la stratégie découlée pour faire face.

 II- COMMENT SE DEFENDRE EN CAS D’ATTAQUE ?

          1. La défense avant l’entrée
La défense avant l’entrée peut prendre plusieurs formes.
Tout d’abord, lorsqu’elles ont connaissance qu’un produit nouveau va être lancé sur le marché, les firmes essaient d’agir avant l’introduction effective. Mais cette situation est assez rare, puisqu’elle ne concerne que six entreprises, où la petite taille du marché permet une meilleure circulation de l’information venant des concurrents Les entreprises qui décident de réagir, le plus souvent, ne sont pas informées des innovations de leurs concurrents avant qu’elles ne soient sur le marché. C’est pourquoi, plutôt que d’utiliser une politique de dissuasion avant l’entrée ponctuelle, elles choisissent d’adopter une stratégie permanente de défense qui peut prendre différentes formes   :
-  Elles peuvent avoir une stratégie de concentration ou de niche, en essayant de devenir très performantes dans un domaine très spécifique ;
-  Elles peuvent également adopter une stratégie de  différenciation en personnalisant les produits et en réalisant du sur mesure ;
-  Enfin, elles peuvent chercher à être en permanence innovante, de manière à se trouver systématiquement en position de pionnier.
L’adoption de ces différentes stratégies n’est p as exclusive, étant donné que la plupart des entreprises en utilisent plusieurs simultanément.

          2. La défense après l’entrée
Dans la majorité des cas, les entreprises sont contraintes de réagir après l’entrée du produit nouveau sur le marché étant donné qu’elles n’ont pas d’information sur le lancement d’un produit concurrent. Une fois que ce produit concurrent est lancé, elles ont plusieurs moyens à leur disposition pour se défendre : les différents éléments du marketing mix, et éventuellement la qualité de leurs produits ou services.

- L’affrontement par la distribution. Certaines des entreprises interrogées utilisent la distribution pour se défendre. Elles peuvent par exemple décider de développer leur réseau grâce à Internet, utiliser le marketing direct o u encore faire du commercial collectif.

- L’affrontement par les prix.  Certaines des entreprises interrogées ont également choisi de se défendre en modifiant les prix de leurs produits, mais cette pratique n’est pas la plus courante.
- L’affrontement par la promotion. L’un des éléments du marketing mix utilisés pour contrer un produit nouveau peut également être la promotion. Celle- ci peut prendre différentes formes selon le type d’activité et la taille des entreprises : publicité, campagnes promotionnelles, augmenter la présence dans les salons.

- L’affrontement par le produit. L’affrontement par le produit constitue le moyen de défense le plus employé par les firmes interrogées. Selon la menace que représente le produit concurrent, selon leur capacité à innover  et selon leur stratégie globale, elles choisissent de créer un produit différencié ou un produit très proche du produit concurrent, qui sera alors un produit imité.

-  L’affrontement par un produit différencié : son utilisation est justifiée par la stratégie globale de l’entreprise.

-  L’affrontement par un produit imité : il a lieu lorsque le produit nouveau concurrent n’est pas considéré comme véritablement innovant. Il s’agit alors de représailles exercées immédiatement avec un produit nouveau qui est une copie de celui du concurrent. Les entreprises interrogées sont également victimes d’un affrontement par un produit imité lorsque elles- mêmes ont introduit un produit nouveau.

- L’affrontement par la qualité.  Certaines entreprises choisissent de riposter à l’introduction d’un produit nouveau en renforçant la qualité et la valeur ajoutée de leurs produits ou services qu’elles considèrent être leurs atouts.

          3. L’absence de réaction
L’absence de réaction immédiate de l’introduction d’un produit nouveau peut avoir plusieurs significations   : l’entreprise décide d’abandonner l’activité étroitement liée au produit nouveau, elle ignore l’attaque, s’en accommode, ou décide de réaliser une étude approfondie afin de déterminer le potentiel de ce produit nouveau.

L’abandon.  Parmi les entreprises interrogées, six se sont trouvées dans l’obligation d’abandonner la production ou la commercialisation d’un produit nouveau, car les concurrents les ont imitées. C’est une décision qui est souvent prise par les plus petites entreprises qui ne sont pas de taille à affronter celles qui ont une position dominante.

L’attaque ignorée.  La plupart des entreprises interrogées se sont trouvées dans des situations face auxquelles elles ont volontairement décidé de ne pas réagir et d’ignorer l’attaque.
Ceci s’est produit lorsqu’elles ont estimé que le produit nouveau serait un échec, soit en raison des caractéristiques intrinsèques du produit, soit parce qu’elles ont estimé que le marché ne serait pas sensible à ce produit.
Une autre raison est que le produit nouveau ne constitue pas une menace pour leurs parts de marché ou encore si l’entreprise est en position de leader sur son marché.

L’accommodation. Seulement trois des entreprises interrogées ont avoué devoir s’accommoder de l’introduction d’un produit nouveau, principalement par manque de moyens et de temps.

Phase d’étude avant de réagir.  Neuf des entreprises interrogées ont expliqué qu’elles préféraient réaliser une étude plus approfondie afin de valider l’intérêt de développer un produit nouveau. Ce sont des entreprises qui appartiennent au secteur industriel et qui ont des produits nécessitant une technologie élevée, ce qui justifie probablement la nécessité de réaliser une étude de marché ou technique. C’est cette phase d’étude qui déterminera une éventuelle riposte ultérieure.

Riposte future.  La riposte future a été abordée par les entreprises en situation d’accommodation espérant pouvoir réagir ultérieurement malgré un problème de moyens.

          4. La menace perçue
Selon les études qui nous ont été rapporté les facteurs qui influençaient les réactions défensives des entreprises, en d’autres termes leurs motivations à réagir, ainsi que ce qui conditionnait la force, la rapidité et la direction de leur réponse.

La difficulté de se différencier.  Trois des managers interrogés perçoivent la difficulté de se différencier de leurs concurrents comme une menace importante. Cette difficulté de se différencier conduit ces entreprises à se défendre avant l’entrée en cherchant en permanence à innover afin de se trouver en situation de pionnier.

Le degré d’innovation du produit nouveau.  Fréquemment citée par les managers interrogés, l’entrée ou l’annonce de produits nouveaux concurrents constitue une menace qui les conduit à réagir. Mais ce n’est  pas uniquement l’entrée effective du produit qui représente une menace, c’est avant tout le degré de nouveauté contenue dans ce produit. La réaction qui découlera de l’entrée du produit nouveau dépendra donc en grande partie du caractère stratégique et du  potentiel de développement que peut représenter le nouveau produit ou marché. L’intensité de la menace est ici fortement liée à la croyance dans le succès du produit nouveau.

L’insatisfaction des clients.  Le risque de perdre un client parce qu’il est davantage satisfait par le produit nouveau d’un concurrent constitue une menace importante pour les managers interrogés. Ils sont donc très à l’écoute de leurs besoins et attentes afin de leur fournir au mieux les produits les mieux adaptés à leurs besoins.
Les concurrents pénétrant sur le marché.  L’entrée d’un produit nouveau peut représenter une menace lorsque celui- ci est commercialisé par un nouveau concurrent pénétrant sur le marché.
En général, il ne s’agit pas d’une firme récente mais plutôt d’une firme présente sur d’autres marchés et qui pourrait décider d’entrer sur celui de la firme établie.
Les contextes.  Les contextes associés à la firme propriétaire du produit nouveau et à l’environnement constituent également une menace pour certains managers. En effet, la situation de leader du concurrent constitue une menace majeure, ou encore qu’il soit considéré comme un concurrent majeur.
La perte de ventes. Enfin, la dernière menace perçue par les managers interrogés correspond à la perte de ventes ou de parts de marché. En fait si les concurrents «  s’attaquent  » à leurs clients, ils seront fortement incités à réagir.
Notre objectif était de déterminer pourquoi et comment une entreprise peut réagir dans le cadre de l’introduction d’un produit nouveau concurrent sur le marché. La réponse s’est opérée en deux temps.

D’une part, la revue de littérature nous a permis d’établir les fondements théoriques de l’étude exploratoire, et d’autre part, les résultats obtenus ont conduit à l’élaboration d’un modèle conceptuel sur les comportements de défense des firmes et les déterminants de ces comportements.